Adossée à deux Labzones s’étant déroulées entre 2019 et 2021, traversée par une pandémie qui nous aura familiarisé·e·x·s avec l’expérience du confinement, cette exposition, également associée à un programme de recherche portant sur l’habitat spatial, gravite autour de deux ensembles : l’habitabilité spatiale et ses formes de vies, les images du spatial et leurs échos dans la culture visuelle. Elle réunit des propositions d’étudiant·e·x·s ainsi que des oeuvres d’artistes qui, toutes, entretiennent de puissants rapports à l’analogie, que cette opération se développe dans des parallélismes, des comparaisons ou des correspondances, qu’elle s’applique à relier des expériences, des images ou des objets. Ces propositions mettent cependant en jeu des moyens techniques peu sophistiqués pour reprendre en main les objets spatiaux qui constituent leur modèle.
La relation établie par l’analogie entre des identités partielles renvoie à la recherche spatiale, qui n’a de cesse aussi bien dans ses laboratoires que dans des espaces précisément qualifiés d’analogues, de reproduire en partie et sur terre des conditions de vies extraterrestres afin d’en permettre l’expérimentation.
En cela, cette exposition constitue un espace de jeu avec les méthodes et les objets mobilisés au sein du programme de recherche Habiter l’espace extraterrestre, jusqu’à partager son titre avec un ouvrage qui en est directement issu 1.
1 Jill Gasparina, Christophe Kihm, Anne-Lyse Renon, Comment quitter la terre?, HEAD-publishing, Genève, 2021
Variations analogiques
Avec En attendant Mars (2017), Bertrand Dezoteux propose une maquette de maquette. Son film transpose dans un monde à petite échelle et à l’aide de marionnettes les expériences menées dans le cadre de la seconde mission analogue Mars 500 (2010-11), à partir de ses images d’archive. Le modèle réduit est encore impliqué dans l’installation de Grégory Bourrilly (Overground, 2020) dont les plaques de céramiques reproduisent des moulages d’un sol lunaire vu de haut, issus de l’industrie du jouet pour enfant – cette projection d’un ailleurs recouvrant le sol terrestre. Ou encore dans l’oeuvre en réalité virtuelle de Charlie Malgat (Overview Effect, 2015) qui propose une expérience de promenade sur le sol lunaire.
Les analogies peuvent également être formelles. Roger Gaillard, avec la vidéo Rotospatiale (2020) renoue avec un motif emblématique de l’imagerie de l’habitat spatial, les structures circulaires (dont l’occurrence la plus fameuse demeure la station spatiale imaginée par Wernher von Braun). Dans ces associations se combinent mobilité, ergonomie et fonctionnalisme. Eliott Waldis, puisant à son tour dans l’univers du jouet et du modèle réduit, fait une proposition cosmétique pour les architectures intérieures d’habitats extraterrestres (Plaidoyer pour des sanitaires spatiaux ornementaux, 2021) et montre, dans des correspondances, l’ironie d’un rapprochement entre les expériences d’enfermement volontaire et les promesses d’une vie humaine sur d’autres planètes (Confinement sidéral, 2021).
Cette relation de la vie confinée à la servitude volontaire est inscrite au centre du film de Julie Bellard, tourné dans un bunker pendant la période du premier confinement, alors que se formulait cette expérience trouble d’un devenir captif au sein de nos propres espaces domestiques et d’un dehors dès lors apparenté à un vide (Obsession Mars Helvetica, 2021). William Fernandes, en ayant recours à des logiciels de modélisation de mondes en 3D ainsi qu’à des séquences trouvées en ligne, propose un essai visuel qui porte un regard critique sur les nouveaux discours de la propagande spatiale. Dans sa vidéo Space Propaganda (2021), le merveilleux spatial est aussi un paradis libéral.
Dans les périodes de crise (écologique, sanitaire, financière, politique…), la ligne analogique ne porte pas nécessairement de grands espoirs quant aux relations du terrestre à l’extraterrestre. On peut cependant en limiter l’application à des expériences concrètes et relocaliser dans des transports en commun à destination de l’arrêt de bus du ‘Bout-dumonde’ (ligne 11) l’étude des déplacements des corps, telle qu’une approche éthologique tente de les comprendre lors de voyages spatiaux. C’est ce que propose Ani Kocharyan, avec ses cartographies dessinées de mouvements et de déplacement. Ou encore, sur un plan anthropologique et technique, mettre en rapport le voyage des corps appareillés pour l’espace et celui des corps-esprits préparés pour une vie post-mortem (Sebastian Davila, Mission Oupouaout, 2021). Quant à la fable culturelle et politique de Mbaye Diop et de Rémy Bender (Espace/Trépasse, 2021), elle convoque migrations terrestres et extraterrestres dans une histoire commune des exils et des exodes, mais nous rappelle aussi que le voyage spatial s’est réalisé, en premier lieu, au cinéma et dans l’animation. Dans le couloir d’entrée, on entendra la complainte d’une planète à la recherche de son autre soi-même, Analog Stone, relocalisant un topos de la chanson dans le vide sidéral et portant l’harmonie des sphères à une nouvelle limite (Andrea Cera - Christophe Kihm).
Ces analogies entre habitats terrestres et extraterrestres, modèles réduits et répliques, vie confinée sur terre et vie confinée dans l’espace, discours scientifique et discours marchand, nous disent chacune et dans leur ensemble, dans leur variété et dans leurs variations,
comment, pour appréhender le tout autre, nous cheminons de proche en proche dans de petites différences avec des autres identiques. Ainsi, avec l’analogie, la question « Comment quitter la terre ? » trouve-t-elle une réponse et presque une méthode : en se rapprochant du tout autre, ou en réduisant, peu à peu, en actes et en pensées, les distances qui nous en séparent.