S'appuyant sur une pratique artistique de longue date, cette thèse de doctorat aborde les enchevêtrements de la colonialité suisse au Brésil et en Suisse sous l'angle de la terre, de l'archive et de la visualité. L'héritage durable du capitalisme impérial dans l'ancienne Colônia Leopoldina (1818-1894) au nord-est du Brésil a été fortement façonné par les propriétaires de plantations suisses, qui se sont appuyés sur l'exploitation esclavagiste des terres et des travailleurs. Le long processus d'accaparement des terres, de déforestation et d'établissement de plantations de café monoculturelles au XIXe siècle trouve un écho dans la situation contemporaine d'Helvécia, une communauté quilombo composée de descendants des Brésiliens africains réduits en esclavage dans la Colônia Leopoldina et de la mégastructure de plantations d'eucalyptus qui gravite aujourd'hui autour d'elle. Les souvenirs violents de l'époque de l'esclavage sont étroitement liés aux signes (invisibles) du paysage qui entourent l'Helvécia d'aujourd'hui et qui contrastent fortement avec l'historiographie des archives officielles suisses.
Représentée et protégée par un consulat national suisse installé dans la colonie au milieu du XIXe siècle, à un moment crucial de la construction de la nation suisse, lorsque la Confoederatio Helvetica a reçu sa première constitution moderne, cette recherche démontre la fabrication de l'État suisse non seulement dans la patrie mais aussi sur une terre lointaine et son implication directe dans la colonialité au Brésil. En mettant l'accent sur les processus esthétiques et spatiaux, cette thèse contribue à l'histoire coloniale suisse avec une étude de cas précise in situ entre Bahia au Brésil et Neuchâtel en Suisse, où la plupart des planteurs de la Colônia Leopoldina étaient originaires, et où un capital colonial considérable a été converti dans le paysage architectural et institutionnel de la ville. Il est urgent de reconnecter ces territoires enchevêtrés, non seulement pour comprendre la ruine écologique de la plantation, mais aussi pour introduire une autre façon de lire le paysage suisse façonné par le colonialisme et l'esclavage.
Alors que les recherches antérieures sur le "colonialisme sans colonies" suisse ont été principalement façonnées par des historiens globaux, ce projet fait figure de pionnier en ajoutant une lentille de culture visuelle associée à une analyse spatiale, qui fait écho non seulement au passé, mais aussi au présent. Trois parties, structurées par le type de source dont elles s'inspirent (archives officielles, traces visuelles, enquête territoriale couplée à l'histoire orale), conduisent le lecteur à travers la longue durée de la colonialité suisse entre le Brésil et la Suisse dans un seul espace-temps. Cette thèse de doctorat est accompagnée d'un riche corpus visuel allant des images d'archives aux œuvres artistiques, toutes aussi cruciales dans le processus de production des connaissances.