Thinking Under Turbulence Geneva Colloquium

Lundi 16 Novembre 2015

Décoloniser l'Europe
 
Conférence de Françoise Vergès
En discussion avec les participants au séminaire Political Studies

HEAD, Boulevard Helvétique 9
salle de séminaire CCC, 2ème étage, salle 27
à 19h00

« Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral. » Aimé Césaire, Discours sur le Colonialisme (1952:11) 

Dans sa présentation, Françoise Vergès explorera « l’effet boomerang » de l’esclavagisme, du colonialisme et de l’impérialisme, condensé par Aimé Césaire dans le terme « déciviliser ». Si, comme Frantz Fanon l’écrira plus tard, « L’Europe est littéralement la création du tiers monde », alors il est important de comprendre comment l’esclavagisme et le colonialisme ont « nui à tous et profité à personne ». Dans la première partie de sa conférence, Vergès démontrera pourquoi l’esclavagisme moderne ne peut être séparé de l’histoire de la démocratie européenne, ni de la manière dont l’Europe et l’Occident ont construit leurs identités sur l’idée de progrès, de liberté et de « blancheur ». Elle évoquera la façon dont les produits de l’esclavagisme – tabac, sucre, café, coton – ont influencé les moeurs sociales, la manière dont la masculinité et la féminité ont été construites, la distinction entre le producteur et le consommateur, ou la perception de la « Nature ». Dans la seconde partie, elle examinera la carte actuelle de l’Europe et débattra de la nécessité urgente de développer une politique et une poétique d’une deuxième vague de décolonisation, ce que « décoloniser l’Europe » peut signifier aujourd’hui. Elle parlera des conséquences du capitalisme racial, de la politique de prédation, de l’accroissement des inégalités, des politiques de dépossession et de la « forteresse Europe ».

A l’issue de sa présentation, Françoise Vergès entrera en conversation avec les participants au séminaire Political Studies, mené par Pierre Hazan pour le Programme Master de recherche CCC-en transition. Ce séminaire adresse la question de la « prise de position » dans une période de crise liée à l’exode des réfugiés et des migrants, à la crise économique, à la montée des mouvements populistes xénophobes, à la guerre en Ukraine et au Proche-Orient. L’Europe affronte aujourd’hui de graves défis sur son sol et à sa périphérie. Quel est le rôle des artistes et des intellectuels dans cette période lourde de dangers ? Comment penser, créer et agir devant la montée des périls, lorsque la tentation de l’impuissance guette ?

Françoise Vergès est actuellement titulaire de la Chaire « Global South(s) » au Collège d’études mondiales, Fondation des sciences de l’homme, Paris. Elle a publié de nombreux ouvrages et articles en français et en anglais sur les mémoires de l’esclavage, Frantz Fanon, Aimé Césaire, l’empire colonial, le musée postcolonial, et les processus de créolisation dans les mondes de l’Océan indien. Elle est par ailleurs auteur de films et collabore régulièrement avec des artistes. Après avoir grandi à La Réunion où elle est témoin des politiques répressives de l’État postcolonial, Françoise Vergès part à Alger puis Paris. Elle milite, puis exerce comme journaliste et éditrice féministe, effectue des voyages dans des pays sous dictature militaire (Chili) ou totalitaires (Union Soviétique) pour recueillir des témoignages de femmes en lutte. En 1983, elle s’installe aux Etats-Unis. En 1987, elle reprend des études à San Diego State University où elle obtient summa cum laude une double licence en Political Science et Women’s Studies. Elle obtient son doctorat en Science Politique à l’Université de Berkeley, Californie, en 1995, publiée par Duke University Press. Elle a enseigné à Sussex University et Goldsmiths College (Londres). Elle a été présidente du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage de 2009 à 2012. Entre 2007 et 2010, elle a élaboré le programme scientifique et culturel d’un projet de musée à La Réunion. 
 

Cette soirée est la partie publique du Colloquium d’un an intitulé “Thinking under Turbulence” qui structure l’enseignement du Programme Master de recherche CCC 2015/16, sous la direction de Doreen Mende. Les participants au Colloquium sont invités à entrer en conversation avec les étudiants CCC et les membres du corps enseignant. Ce Colloquium d’un an intervient à un moment de transition dans l’histoire du CCC, le programme de la HEAD de Genève dédié à la recherche critique, aux techno-politiques et aux problématiques curatoriales d’un monde globalisé. Le Colloquium offre au programme un temps de réflexion sur ses futurs développements, dans une période dirigée par les impératifs accélérationnistes du capitalisme financier global. L’idée du Colloquium provient littéralement de ’action de “parler ensemble”: de com- “ensemble”+ -loquium “parler”. Parler ensemble dans/hors de l’académie. Le concept du Colloquium ne propose donc pas l’action de penser comme méthode philosophique, mais surgit plutôt d’un moment de turbulence où la connaissance est en crise. Un moment qui nous oblige à penser, à penser différemment.

 

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Thinking Under Turbulence Geneva Colloquium
© Brookes, navire négrier, première parution dans Society for Effecting the Abolition of the Slave Trade, Plymouth, 1788.