Navigating Turbulences: Séminaire Public CCC - Sur les traces des preuves liquides

Wednesday 16 November 2016

19h00
HEAD, Boulevard Helvétique 9, 1205 Genève, salle de séminaire CCC, 2ème étage, salle 27

Navigating Turbulences désigne le séminaire public 2016/17 organisé par le Master Programme de Recherche CCC, conceptualisé par Doreen Mende, à la HEAD-Genève. Plus un cadre qu’un thème, Navigating Turbulences [naviguer turbulences] propose de continuer à penser ensemble la nécessité de nouveaux vocabulaires pour vivre en temps de turbulences mondiales, et ce au moyen de procédés de recherche contemporains. Toutes les sessions émergent du programme CCC avec les membres du corps professoral des enseignements. L’idée du Colloquium provient littéralement de l’action de “parler ensemble”: de com- “ensemble”+ -loquium “speaking”. Une telle approche ne propose donc pas l’action de penser comme méthode philosophique, mais surgit plutôt d’un moment de turbulence où la connaissance est en crise et qui nous oblige à penser, à penser différemment.

Pourquoi est-il nécessaire de développer des vocabulaires visuels nouveaux, nous aidant à détecter des violences de basse intensité, i.e. ces violences qui opèrent hors des cadres juridiques légitimés par les politiques dominantes, ou qui s'inscrivent dans un temps géologique que les êtres humains ne peuvent appréhender? Quand peut-on parler d'une "image-navigation" capable d'opérer la rencontre entre, d'une part, un univers d'amnésie et de déni et d'autre part, des géo-liquidités, les droits de l'environnement et la condition humaine?  

Charles Heller & Susan Schuppli entreront en conversation publique sur les thèmes de la preuve scientifique, de la violence disséminée et des formes complexes de causalité. Cette session s'articule autour de deux formes différentes de recherche visuelle. Susan Schuppli présentera un extrait de sa trilogie vidéo Trace Evidence, une nouvelle oeuvre qui explore les manifestations géologiques, météorologiques et hydrologiques de la contamination nucléaire. Son propos porte sur trois évènements. Tout d'abord, le déterrement d'anciens réacteurs nucléaires en 1972 sur le site d'une mine d'uranium à Oklo, au Gabon. Ensuite, la découverte en avril 1986 de particules radioactives aériennes, originaires de Tchernobyl, sur le site de la centrale nucléaire de Forsmark, en Suède. Enfin, l'odyssée du césium 137, auquel il a fallu cinq années pour naviguer les 7600 kilomètres d'océan Pacifique séparant la centrale de Fukushima-Daiichi de la côte ouest de l'île de Vancouver. Malgré leur nature radicale et cachée, la signature et le comportement unique des isotopes radioactifs permettent de remonter directement à la source de ces derniers en suivant leurs traces létales. Ainsi rétablit-on, de manière effective, les liens à valeur probante que les phénomènes planétaires semblent avoir brisés.  

Charles Heller présentera Liquid Trace, une vidéo qu'il a co-réalisée avec Lorenzo Pezzani, laquelle propose une reconstruction synthétique de l'affaire du "bateau abandonné à la mort" de 2011. Alors qu'une opération de l'OTAN, visant à faire respecter un embargo sur les armes, était en cours au large des côtes libyennes, 72 migrants se sont entassés à bord d'un Zodiac pour fuir la Libye en direction de l'île de Lampedusa. Après que leur embarcation fut tombée en panne, ils ont été abandonnés, dérivant pendant 14 jours dans le périmètre maritime surveillé par les forces de l'OTAN. De ce fait, seules neuf personnes ont survécu. À rebours de la conception selon laquelle la mer ne serait qu'un espace non-signifiant dans lequel tout évènement se dissout au gré des courants, cette enquête démontre que l'eau conserve effectivement des traces et qu'en les lisant avec soin, la mer peut se muer en un témoin digne d'être interrogé.  

Cette session, qui a lieu dans le cadre du POOL.CH, constitue un jalon de la réflexion commune amorcée au CCC et à l'Institut Harun-Farocki sur la notion de "navigation" et qui se donne pour objectif de renouveler la compréhension politique des régimes de l'image au 21ème siècle. Doreen Mende en assurera la modération. 

Charles Heller est un chercheur et vidéaste installé à Genève, dont le travail privilégie depuis longtemps le thème des politiques migratoires au sein de l'Europe et à ses marges. En 2011, il a co-fondé le projet de recherche Forensic Oceanography qui enquête de manière critique sur les conséquences mortelles des régimes frontaliers militarisés et des politiques migratoires dans la région de la mer Méditerranée. Il a également participé à la fondation de la plateforme WatchTheMed en 2012. Charles Heller a récemment réalisé la vidéo Liquid Traces (2014) et le rapport Death by Rescue ainsi que la vidéo éponyme. Il a collaboré en qualité de chercheur associé au programme Forensic Architecture (sous la tutelle du Centre for Research Architecture à Goldsmiths-University of London). Il poursuit actuellement ses recherches post-doctorales avec le soutien du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Il a obtenu son diplôme de Master au CCC en 2005. 

Susan Schuppli est une artiste et chercheuse installée à Londres, dont le travail examine les preuves matérielles dans un éventail de contextes allant des guerres et conflits armés aux désastres environnementaux. Son oeuvre a été exposée en Europe et en Asie, au Canada ainsi qu'aux États-Unis. Elle est l'auteure de nombreuses publications de sciences politiques et des médias et fera prochainement paraître Material Witness aux éditions MIT Press. Susan Schuppli enseigne à Goldsmiths en qualité de maître de conférence. Elle a précédemment collaboré au programme Forensic Architecture-ERC en tant que chercheuse associée. Le prix ICP Infinity Award lui a été décerné en 2016.
 

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Liquid Traces - The Left-to-Die Boat Case / Extrait vidéo
© Charles Heller