"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni
"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni
"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni
"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni
"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni
"Fridges are Not Frigid"
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"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni
"Fridges are Not Frigid"
© HEAD – Genève, Jacopo Belloni

Vues de l'exposition "Fridges are Not Frigid"

September 2019

LabZone conçut avec les étudiants du Work.Master 

Etudiant.e.s : Jacopo Belloni, Johana Blanc, Constance Brosse, Sylvain Gelewski, Vicente Lesser, Henrique Loja, Sara Ravelli, Paulo wirz

Intervenant : Niels Trannois

”Fridges are Not Frigid” est une variation sur le titre d’une oeuvre de Lawrence Ferlinghetti (Bronxville, New York, 1919 ”This Fridge Leaves me Frigid”); figurant dans la collection que Francesco Conz (Cittadella, 1935–Verona, 2010) a constitué de son vivant, collection qui aujourd’hui existe sous le nom d’Archivio Conz. Le projet élaboré autour de cette collection avec les étudiants en master arts visuels (Work.Master) de la HEAD à Genève est en effet une variation, voire une digression autour du dialogue qu’entretiennent habituellement les étudiants avec l’histoire de l’art.

Durant une année de recherche entre Genève et Berlin, j’ai travaillé avec un groupe de 8 étudiants à la mise en place de façon expérimentale, des ingrédients d’une discussion transgénérationnelle régie par des principes d’égalité et d’empathie propices à la manipulation d’oeuvres autant historiques que contemporaines. Ici, il ne s’agit pas de se tenir sur les épaules d’un géant* que serait la collection fondée par Francesco Conz mais plus de jouer et spéculer librement avec ce matériaux historique. Nous avons pu ainsi de façon concrète sortir les oeuvres de l’archive afin de les rendre visibles dans une installation où elles se sont mêlées à nos pièces, produites pour l’occasion.

Est présente dans le fait de sortir des oeuvres d’une archive, qu’il s’agisse de leur étude ou de leur exposition, l’idée de rendre ces oeuvres (ou la pensée qui les sous-tend) au présent, de réactiver leur contemporanéité à l’aune d’un temps qui n’est plus celui de leur création. Si les oeuvres sont chargées de leur propre histoire, ainsi que celle de leur époque, elles n’en sont pas moins sensibles: une archive est un matériaux vivant et perméable aux récits historiques, ”Fridges are Not Frigid”. Dès lors, les oeuvres d’un segment de l’histoire de l’art (à savoir Fluxus et ses nébuleuses) ainsi conservées et archivées ne sont pas pour autant frigides à l’époque de leur réactivation ; elles sont pénétrées et s’augmentent du temps écoulé depuis leur création. Se dessine derrière cette pensée une érotique de l’archive mue par l’interpénétration des époques, une vision non linéaire de l’histoire où les couches et les événements qui la constituent s’entremêlent plutôt qu’ils ne se suivent.

Le chercheur au CNRS Olivier Costa de Beauregard disait de la mécanique quantique qu’elle inaugure un ”affaiblissement considérable du concept d'une réalité physique existant indépendamment des observateurs**”, conduisant au fait qu’une chose observée est irrémédiablement affectée par cette observation.

Ainsi, rendre visible une ou plusieurs oeuvres d’une archive, et les mettre en situation avec des oeuvres contemporaines c’est aussi activer leur métamorphose. De fait nous nous plaçons résolument du coté d’une appréciation quantique de l’archive. Au risque de l’iconoclastie, nous avons préféré privilégier la nature irrévérencieuse de Fluxus et l’esprit de ce mouvement, plutôt que de suivre les règles muséographiques de rigueur lorsqu’il s’agit de montrer des oeuvres historiques.

De fait, les modalités de lecture d’une oeuvre archivée puis activée dans le présent, sont augmentées. Ce principe est l’un des postulats à partir duquel nous avons abordé l’archive de Francesco Conz, car si ce dernier a constitué sa collection de façon organique via les affinités qu’il entretenait avec les artistes qui lui étaient proches, nous avons souhaité à notre tour aborder ce qu’il a légué (en tant que collectionneur) selon ce même principe. En investiguant les oeuvres des artistes présents dans l’archive nous nous sommes placés dans la position de chercheurs puisant dans ce catalogue afin de trouver les points de convergence entre des pensées qui ont fait l’histoire de l’art et nos pratiques respectives. Cette recherche est celle d’une proximité.

Ce rapprochement a été rendu possible grace à l’expertise des administrateurs d’Archivio Conz qui ont pris le rôle d’entremetteurs transgénérationnels. À chaque membre de notre groupe de réflexion a été attribué un ou plusieurs artistes collectionnés par Francesco Conz. De ces mises en relation et des discussions qui s’en s’ont suivies, nous nous sommes laissés pénétrer par ces pratiques de 60 ans nos ainées pour mieux repenser notre présent. C’est assez naturellement que les concepts poétiques, la charge humoristique et l’esprit retors des artistes dont nous avons étudié le travail ont influencés notre pensée artistique. En retour il nous semblait essentiel que ces reflexions ne soient pas unilatérales, car il nous incombait de construire formellement le terrain de cette mutualité, la présentation de cette recherche qui en résulte est donc une mise en vue de ce terrain, de ce dialogue.

Le choix du lieu de cette mise en vue n’est pas anodin, l’espace en question est celui où les oeuvres qu’a collectionnées Francesco Conz sont stockées et en cours d’archivage, l’endroit où se situe l’installation, celui des prises de vue nécessaires à la constitution de l’archive. Notre intervention marque une pause dans ce qui est habituellement un espace de travail; elle propose un changement temporaire d’appréciation du sujet dans le cours du récit pour évoquer une action parallèle. Les oeuvres archivées ou en cours d’archivage ne sont plus des objets historiques mais redeviennent, le temps de cette exposition, les acteurs de leur histoire, complices de cette digression dont nous sommes les auteurs.

Niels Trannois

* Métaphore attribuée à Bernard de Chartres, maître du xiie siècle, utilisée pour montrer l'importance pour tout homme ayant une ambition intellectuelle de s'appuyer sur les travaux des grands penseurs du passé (les « géants »).

** Costa de Beauregard  dans ”Le temps déployé”, Ed. du Rocher, 1988

 

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