Nous avons appris avec grande tristesse le décès de l’artiste Jimmie Durham. Né en 1940 aux Etats-Unis dans une famille Cherokee, Jimmie Durham a vécu et travaillé la plus grande partie de sa vie en Europe. A la fois poète, essayiste, sculpteur, performeur et enseignant, son travail, engagé et souvent caustique, a influencé des générations d’artistes et de penseurs.es.

Sa pratique, qui mêle objets et images, mots et gestes, joue avec les formes de construction de l’identité, en particulier celle de celui qu’il nomme « sauvage postmoderne ». Pour autant, c’est l’idée de « sculpture », entendue au sens le plus large du terme – organisation d’éléments matériels dans un espace – qui guide le projet de Durham. Et son œuvre allie sans hiérarchie compositions, installations et collectes, images fixes et animées, actions ou textes. Son travail est caractérisé par une certaine éthique, une radicalité, qui remonte à ses premiers pas dans l’art dans les années 1960. En 1968, il déménage à Genève, où il s’inscrit à l’École des Beaux-Arts. À cette époque, il crée des œuvres performatives, sculpturales et forme le groupe Draga, qui se penche sur la manière dont on pourrait mieux intégrer les arts plastiques à la vie publique. Après une période militante à son retour aux Etats-Unis au début des années 70, il reprend sa carrière artistique en 1980 et revient en Europe. Son travail a été présenté dans de nombreuses institutions autour du monde, telles que le Armand Hammer Museum of Art à Los Angeles (2017), le Whitney Museum of American Art à New York (2014, 2003, 1993), la Biennale de Venise (2015, 2005, 2003, 2001, 1999), le Museo Madre, à Naples où il a vécu (2013, 2008), le M HKA – Museum of Contemporary Art in Antwerp (2012), le Swiss Institute à New York (2012), la Documenta à Kassel (2012, 1992), la 29e Biennale de 29th de São Paulo (2010), le Centre Pompidou à Paris (2010), la Kunsthalle de Berne (2010), le Musée d'Art moderne de la Ville de Paris (2009) etle Museum Ludwig à Cologne (2006).

Jean-Pierre Greff témoigne : « J’ai rencontré Jimmy Durham dans les années nonante à Berlin, à l’occasion d’une Biennale ELIA, European League of Institutes of the Arts, dont je m’occupais alors. Nous avons traversé une grande partie de la ville ensemble, ce qui nous a permis une longue discussion. Il habitait Marseille à l’époque, puis il a choisi Berlin et Naples. Je crois qu’il est devenu assez Européen… J’ai pu inviter Jimmie deux ou trois ans plus tard, à l’école de Strasbourg pour une conférence. Ce fut magnifique. Il parlait assis, comme un Indien, de longues phrases comme une mélopée. Il s’arrêtait pendant que quelqu’un traduisait ses propos, puis il reprenait, comme si ces pauses nécessaires n’existaient pas. C’était un chant, grave, je ne me rappelle pas exactement ce qu’il a dit, mais je me rappelle très bien cette musique, un peu sourde, calme et profonde. Je l’ai revu ensuite plusieurs fois pour d’autres projets. Nous avons pu l’inviter à LiveInYourHead, puis à la HEAD qui avait été, d’une certaine manière, son école. Ça a été un très beau moment. Au début de sa conférence, nous avions organisé, Yann Châtaigné et moi, la projection de sa carte d’étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts de Genève, qu’il a fréquentée de 1968 à 1971. Il y avait été étudiant pendant environ deux ans, Jimmie était alors l’un des représentants des Native Peoples américains, dont il défendait les droits auprès de l’une des commissions des Nations Unies.  Je ne sais pas s’il a été un élève assidu, mais ce passage à l’école d’art de Genève, l’avait profondément marqué. Il en parlait souvent, et toutes ses biographies, alors qu’il était devenu un artiste célébré dans le monde entier, rappellent ce moment clé de sa vie. Jimmie Durham était un immense artiste. Son œuvre marque une génération. Sa voix, sa présence et sa bienveillance nous manqueront. Nous avions prévu de l’inviter pour l’inauguration du Campus HEAD en juin prochain. »