L’espace du jardin familial : modes de vie privés en milieux populaires et leurs régulations publiques

2011 - 2012 - Terminé

Arnaud Frauenfelder , Christophe Delay (HETS), Laure Scalambrin (Université de Fribourg, Fribourg)

Cette étude porte sur une réforme urbaine « en train de se faire » autour de la question des jardins familiaux (appelés autrefois « jardins ouvriers ») à l’occasion du développement de nouvelles formes de jardin en milieu urbain (potagers urbains). Elle interroge cette dynamique sociopolitique, amorcée en Suisse (comme dans d’autres pays d’Europe) depuis les années 1980, à partir d’une compréhension sociologique du travail de divers acteurs impliqués dans cette réforme (urbanistes, architectes, acteurs politiques locaux, responsables associatifs de la Fédération genevoise des jardins familiaux, travailleurs sociaux) en mettant en lumière les arguments et conceptions divers, parfois hautement antithétiques, que ceux-ci mobilisent « pour » ou « contre » cette réforme. D’une part, autour de ce qu’un « beau » groupement, jardin ou cabanon peut signifier. D’autre part, autour de l’usage acceptable qu’il convient d’en faire (son caractère d’utilité publique) ?

Fruit d’une enquête de terrain de plus d’une année menée à l’échelle du canton de Genève et fondée sur une démarche d’analyse résolument pluriméthodologique (entretiens qualitatifs approfondis, observations directes et d’analyses documentaires), cette étude s’attache à restituer une partie de la complexité des enjeux moraux (critique/valorisation de l’importance du « chez soi »), esthétiques (critique de l’aspect « trop normatif » des sites/valorisation du caractère « aligné » des parcelles), économiques (plaidoyer pour des structures « économes en sol »/griefs à l’égard de « jardinets » où l’on ferrait pousser « que des herbes aromatiques ») et sociopolitiques (promotion des politiques de « cohésion sociale » en milieu urbain / attachement envers le développement de « loisirs utiles » en milieux populaires) qui traversent les prises de position des acteurs sociaux impliqués, acteurs qui construisent chacun à leur niveau, par tout un travail de catégorisation, de codification politique, d’institutionnalisation et de mise en oeuvre de projets de concrets, cette réforme urbaine.

Au terme de cette recherche qualitative, il apparaît d’une part que derrière la conception différenciée du « beau » jardin ou de son usage « légitime » qui se manifeste dans les luttes symboliques nouées entre réformateurs urbains attachés au développement de nouvelles formes de jardin en milieu urbain et porte-parole des jardins familiaux institués, c’est en partie des différences sociales non négligeables en termes de modes de vie et références culturelles (partagés directement par les acteurs institutionnels impliqués ou par les populations que ceux-ci pensent représenter) qui se retrouvent ainsi « déguisées » en autant de différences esthétiques et éthiques. D’autre part, il ressort que le mouvement contemporain de promotion des potagers urbains (envisagés comme facilitateur de « lien sociaux » dans le cadre des « politiques de la ville » et de la « cohésion sociale ») déployé à l’échelle de quartiers populaires, représente un miroir grossissant de certaines métamorphoses des référentiels de l’action publique contemporaine marquée par la retraduction, en des catégories territoriales, de la question sociale.