La ville avec ses marges

Les villes attirent les personnes. Cependant, elles sont pensées pour des hommes jeunes, actifs et valides. Elles sont aussi bien « handicapogènes » que « jeunistes » et « andro-centrique » (Armbruster Elatifi, 2022, p.161). Aujourd’hui, cette vision se transforme mettant davantage en avant la ville inclusive et durable. Par ailleurs, la planification de la ville doit prendre en compte les enjeux nouveaux comme le réchauffement climatique, le vieillissement de la population, la transition écologique, les inégalités sociales de santé, etc. L’aménagement urbain implique de plus en plus de participation citoyenne, parfois qualifiée d’impératif (Blondiaux & Sintomer, 2002). Cependant si les usager.ère.s anticipé.e.s sont associé.e.s à la fabrique de l’urbain via des processus participatifs, les publics marginalisés restent largement en dehors de ces processus. En effet, les processus participatifs réussis sont bien souvent évalués numériquement en fonction du nombre de participant.e.s sans que soient questionnées les caractéristiques socio-économiques de ces dernier.ière.s. Ce projet se situe de ce fait à l’intersection entre le social, la santé et la fabrication de l’urbain.

Le projet s’inscrit, d’une part, dans une réflexion globale de la ville qui intègre les problématiques de précarité et de vulnérabilité. Dans cette perspective, les personnes dites en marge se trouvent au centre de notre projet : les personnes précarisées, et grandement précarisées à l’instar des personnes sans-abri. C’est à partir de ces publics que les enjeux sociaux dans les planifications urbaines et leur mise en œuvre peuvent être étudiés, cristallisés, mis en relief. La discrimination et l’exclusion s’expriment à travers les aménagements urbains. Quelles sont les caractéristiques des espaces urbains choisis par ce public ? Comment les adapter pour répondre aux besoins de ses usager.ère.s ? Il faut donc partir des expériences, des expertises de l’espace urbain des personnes précarisées.

D’autre part, la ville aujourd’hui pose des questions en termes de santé de ses habitant.e.s notamment en lien avec le vieillissement de la population. La Suisse se caractérise par une espérance de vie des plus élevée. Même si les chiffres sont manquants, les personnes précarisées vivent également de plus en plus longtemps. Comment, dès lors, intégrer les enjeux de santé urbaine et la réduction des inégalités sociales de santé dans la réflexion sur les transitions urbaines ? Comment faire face aux enjeux de vieillissement des publics précarisés ? Comment intervenir sur l’environnement pour ne pas davantage prétériter la santé de ses usager.ère.s ?

La problématique de notre recherche porte sur la question de la ville durable, inclusive et en santé. Aujourd’hui, la ville est pensée pour un public spécifique d’actifs et d’actives. Cependant, il est bien connu qu’elle est habitée par une hétérogénéité de personnes dont des personnes « indésirables », fabriquées par la ville. Pour cette raison, nous souhaitons regarder la ville à partir de ces populations précarisées et grandement précarisées. Nous nous intéressons à leur regard, leur vécu, leur expertise et leur expérience de l’urbain. Nous défendons le postulat que la ville doit être pensée en amont avec tous ses publics, ainsi seulement il est possible de créer des contextes de vie davantage favorable à la cohésion sociale, à la lutte contre les inégalités socio-sanitaires et urbaines. Comment l’aménagement urbain peut-il inclure les personnes en situation de grande précarité vieillissante dans ses réflexions afin que ces dernières puissent vivre l’urbain en qualité et en santé ? De ce fait, la recherche interroge la place de ces personnes dans l’espace urbain ainsi que dans le projet urbain.

Publications liées à cette recherche