Ce qu’enfermer des mineurs veut dire. Controverses professionnelles, conceptions éducatives et justifications contemporaines de l’enfermement

2011 - 2013 - Terminé Enfance jeunesse famille

Arnaud Frauenfelder , Eva Nada, Géraldine Bugnon (Université de Genève / Suisse), Christophe Delay (Université de Lancaster / Grande-Bretagne)

On assiste en Suisse depuis les années 1990 (comme dans d’autres pays d’Europe) à un certain retour de la « question carcérale » parmi l’ensemble des réponses sociopolitiques engagées vis-à-vis du traitement de la délinquance juvénile. Ce retour se situe dans un contexte sociétal traversé par des mouvements d’apparence contradictoires. D’une part, l’émergence d’un nouveau régime de sensibilité publique à la délinquance juvénile et, d’autre part, un processus de reconnaissance publique (sans précédent) des mineurs comme sujet de droit (possibilité d’être entendu et de faire recours) et personne dont il convient de protéger l’intégrité physique et morale. Ce contexte contraint les institutions à la fois à plus de « fermeté », mais aussi en même temps, à plus de « dignité ». Sur le plan législatif, ce retour de la question carcérale se manifeste à travers un réaménagement des cadres législatifs internationaux, un renouvellement des discours savants en matière de justice pénale des mineurs et une reconfiguration des modèles d’intervention. Alors que les réaménagements des cadres législatifs et institutionnels ont d’ores et déjà été bien étudiés, la mise en œuvre concrète de ces réformes ainsi que les ambivalences et contradictions qui en découlent demeurent moins connues. Notre approche, en appréhendant l'institution « par le bas », à partir des agents qui la font vivre et la produisent au quotidien, entend donc éclairer ces ambivalences et contradictions.

En nous plaçant tour à tour aux côtés des différents professionnels (maîtres socioprofessionnels, éducateurs, agents de détention, personnel médical, enseignant) travaillant dans un centre éducatif fermé pour mineurs de Suisse romande, nous avons cherché à comprendre sociologiquement, le sens conféré par ceux-ci à l’enfermement de jeunes détenus, interrogation constituant le véritable fil rouge de cette étude et choisie en guise de titre : « Ce qu’enfermer des mineurs veut dire ». Fondée sur l'analyse de plus d’une vingtaine d’entretiens qualitatifs approfondis réalisés auprès de différents corps professionnels et sur une analyse documentaire (articles médiatiques, cadres juridiques, discours institutionnel, rapport d’activité), cette étude sociologique appréhende ces ambivalences à partir de deux aspects emblématiques des réformes en cours : la promotion de la « pluridisciplinarité » et le souci d’aligner davantage l’intra-muros sur l’extra-muros, préoccupations placées au centre des recommandations nationales et internationales depuis les années 2000.