Le paradigme de l'art contemporain et l'au-delà de l'objet

Nathalie Heinich, sociologue et directeur de recherches au CNRS, Paris.

L'épistémologue Thomas Kuhn utilisa le terme de "paradigme" pour désigner une structuration générale des conceptions admises à un moment donné du temps à propos d'un domaine de l'activité humaine - en l'occurrence, l'activité scientifique. Nonobstant les évidentes différences entre science et art, cette notion est parfaitement transposable à l'histoire de l'art, en y incluant non seulement la création des oeuvres mais aussi leur perception et leur réception, tant par les spécialistes que par le grand public. Elle permet notamment de donner sens aux grandes controverses artistiques, telles que celles du réalisme puis de l'impressionnisme au XIX° siècle, et celles de l'abstraction puis de l'art contemporain au XX° siècle. En isolant et en définissant les trois paradigmes de l'art occidental depuis la Renaissance - art classique, art moderne, art contemporain -, il devient possible d'appliquer une perspective de longue durée à l'histoire sociale, à l'économie et à la sociologie de l'art, en dégageant la cohérence des inter-relations entre la production des oeuvres, leur mise en circulation et leur réception.