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Portrait d'Élise Gay et Kévin Donnot
Clémence Imbert : Votre travail de refonte du site web d’ISSUE va bien au-delà d’un simple relooking graphique. Le projet illustre l’approche que vous développez au sein de votre studio, en matière de graphisme et d’édition. Comment décririez-vous cette démarche propre à E+K ?
E+K : Nous sommes un atelier de design graphique, fondé en 2011 et basé à Pantin, à côté de Paris. Nous travaillons principalement, presque exclusivement, dans le domaine de l’édition, aussi bien numérique qu’imprimée. Certains de nos projets portent d’ailleurs sur les deux à la fois, ce qu’on appelle l’édition « multi-supports ». La particularité de notre atelier c’est de manipuler des technologies qui viennent de l’ingénierie informatique, du code, et de les mettre en œuvre dans des contextes d’édition traditionnelle. Nous ne considérons pas seulement l’ordinateur comme une espèce de table à dessin augmentée, mais ce qui nous intéresse ce sont les possibilités d’automatisation et de programmation pour la mise en page. Nous tentons d’adopter une approche à la fois réflexive et expérimentale, qui nous permette de réfléchir à la pratique du design graphique au sens large. Y compris sur le cadre de la commande, puisque ce qui nous motive, c’est de pouvoir, dans chaque projet, imaginer de nouveaux processus de travail. Pour cette raison, nous tenons à rester une petite structure. Même si nous nous associons parfois à d’autres personnes – comme ici Jérémy de Barros qui s’est occupé de l’intégration web –, nous travaillons principalement à deux, aussi bien sur la conception que sur la réalisation. Cela nous permet de rester en contrôle et de maîtriser toutes les étapes du projet.
C.I. : On imagine bien que cette approche ne peut être adoptée que dans certains contextes, et avec certain·exs client·exs. Avec qui travaillez-vous ?
E+K : Nous travaillons principalement avec des institutions culturelles, des artistes et des maisons d’édition. Nous avons aussi un lien particulier avec la recherche. Un projet fondamental pour nous a été la création de la revue de design graphique et de culture numérique Back Office, que nous avons co-fondée avec Anthony Masure en 2017. Nous y travaillons avec la casquette de designers graphiques, mais aussi d’editors comme on dit outre-Manche. Dans des projets comme ceux-là, la question de la mise en forme graphique arrive en dernier plan. Ce qui nous intéresse, c’est le contenu, le travail avec les auteur·icexs, le montage du numéro, la diversité des voix, l’iconographie. Nous pensons très en amont les questions structurelles et de contenu, avant de commencer à générer des formes. Et ça a été un peu le cas aussi sur la refonte d’ISSUE.
C.I. : Kévin est aussi enseignant et chercheur.
E+K : Oui, mais pas « enseignant-chercheur ». Je suis « professeur d’enseignement artistique » à la Haute école des arts du Rhin (HEAR), et chercheur. Parfois je monte des projets de recherches, comme celui sur lequel nous travaillons en ce moment, « Faire le point », sur les trames d’impression algorithmiques. Parfois, nous sommes associé·es, comme avec le projet ANR en cours sur le Laboratoire de graphique de Jacques Bertin. C’est aussi dans le cadre de projets de recherche que nous avons été amené·es à travailler avec la HEAD ces dernières années, en particulier avec l’identité et le site web du projet Cryptokit, dirigé par Anthony Masure, pour lequel nous avions conçu une identité visuelle et un site web proposant notamment des outils de schématisation pour expliquer la blockchain.
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Page d’accueil de l’ancienne version d’ISSUE, créée en 2019 par Charles Chalas et développée par Catherine Brand, Pierre Rossel et Vincent Zaugg
C.I. : Lorsque Julie Enckell, la directrice de publication d’ISSUE, vous a contactés pour la refonte de cette revue en ligne, comment votre mission était-elle définie ?
E+K : La particularité du projet était qu’il s’agissait d’une refonte, et non d’une création de site. Habituellement, nous créons des sites web de zéro, et nous définissons des structures a priori, qui vont ensuite être progressivement remplies par les éditeur·icexs du site. Dans le cas d’ISSUE nous intervenions sur un site où il y avait une énorme quantité de contenus préexistants (plus de 300 articles). Le positionnement est également particulier : ISSUE est à la fois une revue de recherche, avec des articles autonomes, et une revue d’école documentant des pratiques pédagogiques. Avant toute chose, il s’agissait de faire le diagnostic de ce qui marchait, ou pas, de ce qu’on voulait changer, améliorer. C’est l’occasion de réinterroger le positionnement, en termes de lectorat. En particulier, pour les éditrices, la question de l’adhésion du lectorat spécifique de la communauté de la HEAD faisait partie des objectifs principaux de cette refonte. Car la revue était davantage repérée à l’extérieur qu'à l’interne. Nous avions besoin de comprendre comment toucher ce public concerné au premier chef.
Au final, c’est comme faire une réédition !
C.I. : Vous avez donc lancé une vaste enquête sur le lectorat d’ISSUE, ses habitudes et ses envies…
E+K : Oui, il nous semblait important de ne pas partir seulement de l’avis de l’équipe éditoriale. Nous voulions interroger les lecteur·icexs, afin d’avoir des éléments objectifs pour définir les propositions graphiques. Pour cela, nous avons d’abord étudié de près les données que nous avions sur la fréquentation du site : comment les gens entraient sur ISSUE, combien de temps iels restaient, comment iels circulaient sur le site. Nous avons croisé cela avec un questionnaire en ligne, adressé à tout le public interne et externe de la HEAD : les équipes enseignantes, les alumniae, les partenaires de l’école, les personnels administratifs, etc. Nous avons reçu une centaine de réponses. Sur cette base, nous avons enfin réalisé des entretiens plus approfondis avec 5-6 personnes représentatives de certains profils.
C.I. : Ce diagnostic a-t-il confirmé vos impressions initiales sur ce qui nécessitait une amélioration ?
E+K : Globalement oui, mais certaines de nos idées préconçues étaient fausses. Par exemple, nous pensions que beaucoup de lecteur·icexs imprimaient les articles pour les lire sur papier. En réalité, absolument personne ne fait ça ! L’usage principal est en revanche d’éditer des PDF, de les stocker dans des dossiers sur son ordinateur pour les lire à l’écran. Le diagnostic montrait surtout que les contenus étaient de grande qualité, que le site était assez visité, mais que la navigation interne ne permettait pas de révéler cette richesse. La plupart des lecteur·icexs arrivaient via le référencement sur Google mais ne consultaient qu’un article et ne circulaient pas dans le site. Certain·exs venaient avec des intérêts ciblés ; d’autres venaient pour des types de contenus (comme les podcasts). Il fallait donc encourager la découverte.
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Extrait du document « Diagnostic de l’existant » concernant le site ISSUE, réalisé par E+K le 4 décembre 2023
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Extrait du document « Diagnostic de l’existant » concernant le site ISSUE, réalisé par E+K le 4 décembre 2023
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Extrait du document « Diagnostic de l’existant » concernant le site ISSUE, réalisé par E+K le 4 décembre 2023
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Extrait du document « Diagnostic de l’existant » concernant le site ISSUE, réalisé par E+K le 4 décembre 2023
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Extrait du document « Diagnostic de l’existant » concernant le site ISSUE, réalisé par E+K le 4 décembre 2023
C.I. : D’où le choix d’un système de mots-clés qui permettent de créer des sélections thématiques à partir de la page d’accueil ou de signaler aux lecteur·icexs les publications apparentées à ce qu’ils viennent de lire.
E+K : Absolument ! Ce travail autour des mots-clés a été un énorme chantier… Il existait un thésaurus de tags thématiques, associés à chaque article, mais au fil du temps, ces mots-clés avaient proliféré sans harmonisation. Un très grand nombre de tags ne renvoyaient qu’à un ou deux articles… Il a donc fallu tout refaire, pour redéfinir un ensemble de mots-clés assez limité pour s’y retrouver mais suffisamment grand pour couvrir tous les sujets des articles existants et à venir. Pour y parvenir et pour ensuite réindexer tous les articles existants, nous avons mis en place un modèle de langage, c’est-à-dire une IA, qui exploite les modèles de Mistral, un grand modèle langage (LLM c’est-à-dire une IA) open source français. On aurait pu le faire manuellement mais cela aurait pris des années. Là, on a une première base qu’on peut ensuite raffiner. L’équipe d’ISSUE peut ponctuellement regarder et réaffecter d’autres mots-clés à un article, mais en fait on a été surpris de la fidélité des résultats. On est là typiquement devant un exemple où la mission de graphiste dépasse largement le domaine de la mise en forme. C’est presque du travail d’ingénieur informatique !
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Capture d’écran présentant le processus d’attribution de mots clefs automatisé à l’aide du modèle de langage open source Mistral 7B exécuté dans un environnement local.
C.I. : Il existait sur l’ancien site des catégories définissant des formats d’articles : Dossiers thématiques, Flux, et Satellites. Plutôt que cet accès par onglets, vous proposez en page d’accueil une grille de visuels qui invite plutôt à une navigation « article par article ». Pourquoi ?
E+K : Parce que cela correspond aux usages de la lecture en ligne. Mais aussi aux modalités de lecture des revues académiques, qui sont souvent lues « à la découpe », article par article. Nous avons aussi considéré que les articles de recherche conservent leur intérêt bien au-delà de leur date de publication. Il faut donc pouvoir les faire « remonter » – ce que l’ancien site ne permettait pas facilement. Pour autant, les dossiers thématiques, anciennement nommés « Focus », ne disparaissent pas complètement. Ils sont identifiés sur la page d’accueil par des fonds jaunes, qui mènent à leurs sommaires. Tandis qu’en violet figurent les éléments de contenus individuels.
C.I. : Lorsqu’on accède aux pages « Publications », on perçoit tout de suite que vous avez cherché à rendre la lecture à l’écran plus confortable.
E+K : C’est vrai qu’on commence à avoir une certaine expérience en interface de lecture. On a commencé à y réfléchir pour le site de Back Office. En tant que revue autour des pratiques numériques, elle devait être un manifeste de la lecture à l’écran. Cette problématique est récurrente et nous trouvons sans cesse de nouvelles astuces, de manière assez empirique. Le premier enjeu de la lecture en ligne, c’est d’affronter la profusion de l’information. Les lecteur·icexs cherchent à savoir rapidement si le contenu les intéresse ou non, s’iels ont envie ou non de prolonger la lecture. Pour cela nous avons mis en valeur le chapeau des articles, et le chapitrage qui permet d’accéder directement à certaines sous-parties, et qui fonctionne comme un sommaire. Il faut aussi veiller à ne pas, en particulier, noyer les lecteur·icexs sous les métadonnées (auteur·icex, date de publication, mots-clés, etc.) qui étaient auparavant placées en tête d’article et qui pouvaient donner l’impression d’une trop grande complexité. Notre idée a été de les rassembler dans un volet à fond coloré, en petit corps de texte. Ce qui permettait d’exploiter la dimension « responsive » du web. (Les informations s’affichent sur des espaces de la page qui s’adaptent au format de l’appareil du navigateur ou de l’appareil mobile).
C.I. : De manière générale, le site comporte plusieurs fonctionnalités dynamiques, avec des effets d’animation au passage de la souris ou au défilement.
E+K : Oui. Il y a la barre horizontale, qui se remplit en couleur comme une jauge au fil de la lecture et vient perturber la grille. C’est un élément visuel très affirmé, une réponse à la disparition des scroll bars (barres de défilement) verticales, dans les dernières versions des systèmes d’exploitation. Désormais, elles ne s’affichent plus que lorsqu’on vient les chercher sur le bord de l’écran. La nôtre est au contraire bien visible. Cela permet aux lecteur·icexs de savoir où iels en sont, comme quand on a un livre dans la main. Il y a aussi les notes de bas de page qui s’affichent en fonction des appels de notes visibles sur la page. Au cours du défilement, cela anime et renouvelle la page.
C.I. : La question de la lisibilité se pose aussi dans la typographie. Qu’avez-vous amené de votre culture de l’imprimé ?
E+K : Il y a un travail sur le choix du caractère typographique, sur les marges, sur la largeur de colonne, sur l'interlignage et là c’est plutôt notre habitude de faire des livres qui parle. Nous avons cherché un corps de lecture et un interlignage assez ample, avec du contraste, pour que le caractère typographique puisse s’exprimer et que l’œil ne se fatigue pas. Il s’agit du caractère Control de Christian Schwartz et Miguel Reyes, un caractère dessiné en hommage aux premières grotesques et qui présente une variante cursive qui nous a paru très singulière. L’alternance romain / cursif permet de donner une identité à la revue, et rappeler le type d’activité qui se déroule dans une école d’art, où la main a sa place.
C.I. : Concevoir un site web c’est aussi penser aux éditeur·icexs qui vont peu à peu l’enrichir en y ajouter des contenus. Comment avez-vous abordé cet aspect ?
E+K : Dès le départ, il était prévu que le site serait géré par Drupal, un CMS (Content Management System) utilisé globalement à l’échelle de la HES-SO. Cela a été l’occasion de nombreux échanges avec le Laboratoire des Technologies de l’Information pour concevoir un site qui soit performant dans la durée. Nous avons nettoyé au maximum les contenus existants : avec l’indexation par mots-clés comme on l’a dit, mais aussi en redéfinissant le balisage sémantique pour les futurs articles, qui permettra au site d’être accessible aux personnes mal-voyantes entre autres. La gestion des images est aussi une question délicate. Dans ISSUE, selon les articles, les images ont des statuts très différents : parfois elles constituent le contenu principal, parfois ce sont de petites notes visuelles. Les éditrices sont donc confrontées à des décisions de design : choisir de mettre les images en pleine largeur de colonne, ou en plus petit, ou en carrousel… Notre travail a été là aussi de simplifier et de rationnaliser les possibilités en proposant des options restreintes qui les guident dans leurs choix. Certains articles doivent encore être revus avec ce nouveau système, mais sur une telle quantité de contenus, cela ne peut se faire que progressivement. Il faut accepter que cela prenne du temps, et que cela se prolonge après le lancement du site.
C.I. : Il faut sans doute préciser qu’au moment de cet entretien, certaines fonctionnalités sont en cours de finalisation…
E+K : Disons que le site est aujourd’hui à la version 0.9 ! Nous allons bientôt débloquer le bouton qui permettra de générer les PDF des articles pour les télécharger, avec une vraie mise en page spécifique et automatisée. Il ne reste plus que quelques petits réglages.
C.I. : Cette fonctionnalité de téléchargement très attendue répond à un besoin identifié dès le diagnostic : celui de conserver les articles au format numérique. Pourtant, ISSUE ne renonce pas à une existence papier. Pouvez-vous nous parler du projet de publication papier à venir ?
E+K : Au cours de la réflexion sur cette question, nous avions eu à un moment l’idée que les lecteur·icexs puissent composer leurs propres florilèges d’articles et les imprimer en print on demand, avec des procédures de design génératif. Mais cela aurait donné des imprimés assez pauvres, un peu bricolés. Quitte à imprimer, autant imprimer un ouvrage qui donne envie de lire, qui ait une vraie valeur matérielle et tactile ! Il fallait aussi quelque chose qui ait un statut tout à fait différent d’un numéro de revue, d’où cette idée de ce que l’équipe du projet a appelé le yearbook : une espèce de best-of de l’année ou des deux années écoulées : des articles mais aussi des essais visuels, et des contenus vidéo qu’on édite sous forme de photogrammes. Ce format reflètera la variété des contenus ISSUE et le positionnement si riche de la revue. Le papier est évidemment un moyen de conservation, mais c’est surtout un moyen de diffusion. Un bel objet imprimé donne de la visibilité et c’est aussi l’occasion de réunir la communauté ISSUE autour d’un événement de lancement ! Alors RDV bientôt à cette occasion !
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Extrait de la publication papier annuelle d’ISSUE en cours de préparation, design E+K, sortie prévue en janvier 2026
![/head/issue/sites/head_issue/files/image/fig_9.jpg [missing img]](/head/issue/sites/head_issue/files/image/fig_9.jpg)
Extrait de la publication papier annuelle d’ISSUE en cours de préparation, design E+K, sortie prévue en janvier 2026
![/head/issue/sites/head_issue/files/image/fig_10.jpg [missing img]](/head/issue/sites/head_issue/files/image/fig_10.jpg)
Extrait de la publication papier annuelle d’ISSUE en cours de préparation, design E+K, sortie prévue en janvier 2026
![/head/issue/sites/head_issue/files/image/fig_11.jpg [missing img]](/head/issue/sites/head_issue/files/image/fig_11.jpg)
Extrait de la publication papier annuelle d’ISSUE en cours de préparation, design E+K, sortie prévue en janvier 2026