Les usages de la ville par les personnes âgées : une étude ethnographique

Mardi 13 décembre 2022 12h15 - 13h30 HETS-Genève, Bâtiment A, salle A006, Suisse

 

Ulrike Armbruster, docteure en sociologie et maître d'enseignement à la HETS-Genève, présentera les résultats de sa recherche Les usages de la ville par les personnes âgées : une étude ethnographique menée dans le cadre de son doctorat en sociologie.

Cette recherche porte sur les usages que les personnes âgées font de l'espace urbain. Tout en se plaçant dans le cadre théorique d'une sociologie des épreuves, le questionnement se déploie sur deux axes : le premier axe porte su l'impact de l'environnement sur l'avancée en âge ; le deuxième axe interroge et scrute les modes de vie, les pratiques quotidiennes des personnes âgées dans l'espace urbain, ainsi que leur manière de transformer, de ruser, de s'adapter à l'espace urbain pour répondre à leurs besoins, capacités et désirs. La partie empirique est constituée par une étude ethnographique menée durant deux ans avec vingt personnes âgées vivant dans une ville suisse de taille moyenne, Genève.

 

Plus d'information sur la recherche :

Durant deux années, vingt personnes ont participé à cette recherche, âgées entre 66 et 87 ans, vivant dans deux quartiers distincts du canton de Genève, l'un situé au centre-ville, l'autre dans une commune suburbaine. Le dispositif méthodologique s'est composé de parcours en marchant, d'entretiens narratifs et d'une approche de photo-élucidation. Ainsi, avec 192 rencontres réalisées durant l'enquête de terrain, l'empirie occupe une place centrale dans le présent travail.

L'étude met en exergue l'importance de l'espace urbain pour la population âgée. La marche constitue la modalité de déplacement la plus investie par les aîné.es. Elles.ils sillonnent les rues, le quartier, la ville, à pied. L'espace urbain permet également des interactions. Les liens ténus jouent ici un rôle important, ces échanges brefs, fluides, anodins, aléatoires et éphémères avec les autres passant.es ou les commerçant.es. Ainsi, l'environnement et l'insertion de l'individu dans son contexte de proximité déterminent le sentiment de bien-être des personnes âgées, plus que le logement. Le quotidien, avec ses usages, ses pratiques ordinaires, mais si subtiles, se trouve donc au centre de cette étude. Un quotidien encore trop peu étudié en sciences sociales. La partie empirique se déploie selon une logique chronologique : elle commence par la phase de préparation à la sortie, se poursuit par les moments de sortir, de cheminer et d'interagir dans l'espace urbain, pour se terminer par le retour chez soi. La perméabilité, la porosité entre le dedans et le dehors, entre l'intérieur et l'extérieur, entre le privé et le public dans la vie au quotidien des personnes âgées ont ainsi pu être mis en lumière.

Les résultats montrent que les réponses apportées aux épreuves conjointes du vieillissement et de la ville peuvent être lus au prisme des régimes d'engagements. L’être humain a besoin de se trouver dans un espace de confiance et de familiarité, un espace d’aise, à partir duquel il va pouvoir commencer à établir et à réfléchir à sa relation avec le monde extérieur. La recherche montre l’importance grandissante du domicile avec l’avancée en âge. Il constitue un espace de confiance primordial. Ce fort attachement entre la personne et son entourage matériel est caractéristique du régime d’engagement familier. Le domicile peut être considéré comme un lieu d’expérimentation, un lieu de vérification de ses capacités, de ses possibles. Tant que les actions pratiques chez soi sont effectuées avec aisance par l’individu en s’appuyant sur les objets familiers, les réseaux de proches et de professionnel.les, il va oser, en confiance, envisager sortir à l’extérieur. Plus l’aise est grande dans le chez soi, plus la personne se sent à l’aise de s’aventurer dehors.

Le régime du plan comprend tout ce qui doit être prévu, contrôlé, planifié. Dans le cadre de cette recherche, la nécessité pour les enquêté.es d'appliquer ce régime du plan à l'espace urbain, à l'espace externe au domicile, apparaît distinctement. Les personnes âgées ont besoin de l'assurance, de la planification pour être en mesure d'accomplir un ensemble de choses. L'attention portée à la météo, à la présence de bancs publics sur le trajet, à l’heure de sortie, etc. sont des exemples qui mettent en évidence à quel point les ajustements locaux et fins, les savoirs familiers, deviennent une stratégie réflexive de stabilisation de ce sur quoi la personne a prise. D'une certaine manière, les personnes âgées doivent hypertrophier ce régime du plan pour avoir l'assurance de pouvoir bien vivre leur vieillesse.

Enfin, le régime de la justification ou de la sphère publique suppose une expression de la parole dans l'espace public, détectée dans l'un ou l'autre des autres régimes. Dans le cas des personnes âgées, la difficulté réside dans le fait de monter les problèmes de la sphère familiale et du plan, qui sont majoritairement investis par elles, vers la sphère publique et de justification. Chaque personne, individuellement, se débrouille avec ce dont elle dispose. Il manque une expression collective, une réelle volonté de faire entendre ces voix, ou autrement dit une volonté collective de traduire la souffrance intime pour la porter au débat public et politique.

Lien vers la thèse de doctorat (Archives ouvertes Unige)

 

Informations pratiques :

Conférence gratuite, en présentiel et sans inscription.

Un moment d’échange autour d’un petit repas sera proposé à l’issue de la conférence.

HETS-Genève, salle A006 | Rue du Prévost-Martin 28, Genève

Programme complet du cycle de conférence "Midis de la recherche 2022-2023"