HES-SO Genève

Au chevet des personnes amputées à Port-au-Prince

HETS

Le 16 janvier 2014 a été inauguré à Port-au-Prince le Centre de Réhabilitation pour Personnes Amputées - CERPA. Cette inauguration marque l’aboutissement de la première étape d’un projet mené en Haïti par Chantal Junker-Tschopp, professeure à la filière Psychomotricité, en partenariat avec la Faculté de Médecine de l’Université d’Etat d’Haïti et Handicap International. Initié il y a plus de deux ans, le projet est né du double besoin 1° de prendre en compte les patients amputés dans leur globalité, en particulier au niveau de leurs douleurs fantômes, et 2° de trouver des réponses thérapeutiques au risque de rejet de prothèse. Il comprend trois volets :

  1. Une prise en charge neuro-psychomotrice de patients amputés souffrant de douleurs fantômes ;
  2. Une recherche sur les effets de la thérapie neuro-psychomotrice dans ce contexte ;
  3. La mise sur pied d’un programme de formation en neuro-psychomotricité destiné aux étudiants et au personnel soignant local travaillant dans le domaine de l’amputation.

Les douleurs fantômes renvoient à la plasticité cérébrale. La réorganisation corticale qui suit toute amputation se révèle absolument délétère puisque que le patient continue de sentir un membre qui n’existe plus. Il sent par exemple que sa jambe se retrouve comme écrasée par une dalle de béton sans qu’il ne lui soit possible ni de retirer sa jambe ni de soulever la dalle ! Or ces douleurs se montrent particulièrement résistantes à différents traitements médicamenteux ou chirurgicaux. Résolument nouvelle, la réhabilitation neuro-psychomotrice offre une réponse thérapeutique particulièrement intéressante aux douleurs fantômes. Cette approche s’appuie sur les processus-mêmes qui permettent au schéma corporel de se construire. En stimulant les sensations qui participent à son élaboration, le patient est mis dans des situations où le cerveau comprend qu’il doit retravailler sa perception du corps. Ces sensations sont tactiles, proprioceptives (sensations internes du corps), visuelles et vestibulaires (équilibre). Par exemple, plonger son membre dans de l’eau ou du sable permet de ressentir qu’il s’arrête à présent au niveau du moignon. Cette sensation, doublée d’une nouvelle intégration des limites corporelles, calme de manière instantanée et durable la douleur. Une autre situation, développée par V. Ramachandran, travaille à partir de la symétrie du corps en utilisant un miroir. En fixant le reflet de son membre intact, le patient voit son membre amputé tel qu’il était avant son amputation alors même qu’il le sent toujours au niveau de ses sensations fantômes. Cette cohérence retrouvée entre sensations visuelles et somesthésiques apaise elle aussi la douleur. Deux séances hebdomadaires sur une période de deux mois suffisent pour que non seulement les douleurs fantômes disparaissent mais également le membre fantôme lui-même. Dans un deuxième temps, la thérapie se centre sur la prothèse. La plasticité cérébrale est telle qu’elle peut intégrer au schéma corporel des objets étrangers au corps propre. Par exemple, le stylo qui nous permet de sentir la texture du papier. En apprenant à sentir à travers sa prothèse, soit en pouvant déléguer ses sensations aux extrémités de la prothèse, le patient commence à l’intégrer et à lui donner sens. La prothèse devient utile et donc indispensable pour agir et interagir avec le monde, limitant ainsi les risques de son rejet. Pour l’instant, nous n’avons pas connu d’échec. Un centre comme le CERPA en Haïti est d’autant plus important que, suite au retrait de la majorité des ONG, le nombre de sites offrant un programme de réhabilitation de qualité des personnes amputées s’est réduit comme peau de chagrin alors même que les besoins dans le pays sont toujours aussi importants. Le projet est activement soutenu par le Ministère de la Santé Publique et de la Population d’Haïti ainsi que par des fonds suisses tels que le Bureau de la Solidarité Internationale de l’État de Genève.

Chantal Junker-Tschopp, Professeure HES, filière Psychomotricité
 

Contact: Chantal Junker-Tschopp